Ilse Palisca et sa fille, photographiée au soleil de l’après-midi par son mari Pino, 1952. Musée canadien de l’immigration du Quai 21 (R2013.679.1).
Nous ne vivions que dans une seule pièce à Villach, en Autriche. Nos deux maisons avaient été détruites par des bombes et mon mari était un réfugié italien en provenance de la Yougoslavie communiste. Nous avons décidé de faire une demande d’immigration au Canada à partir de Trieste, en Italie (en territoire libéré). J’étais enceinte. Nous n’avions aucune chance de trouver un endroit où habiter à Trieste ou en Autriche, alors au début novembre 1951, nous avons pris un train d’immigration vers Lesum Bremerhaven, en Allemagne (un camp de réfugiés).
Mon mari est monté tout de suite à bord du Fairsea et est arrivé au Quai 21 de Halifax le 4 décembre 1951. Je n’ai pas eu l’autorisation de me rendre au Canada avec lui parce que j’étais enceinte de sept mois et demi.
On m’a placée dans un camp à Blankensee, près de Lubeck, en Allemagne. Je me souviens des longues files d’attente pour les repas et des matelas en feuilles de maïs sur lesquels je dormais, ainsi que des longues marches vers les bureaux des réfugiés afin de savoir combien de temps je devrais attendre pour me rendre au Canada. Je ne voulais pas accoucher dans ce camp. De retour à la guérite, je ne pouvais plus marcher et deux gardes polonais m’ont transportée dans le camp. Je me souviens des piqures des punaises de lit. J’ai passé Noël au camp en 1951 et nous l’avons célébré à l’Américaine cette année-là. Finalement, on m’a envoyée à Bremerhaven le 27 décembre 1951. Je suis montée à bord du train dans la toute dernière voiture. Le trajet a été éprouvant.
Je suis montée à bord du Fairsea le 28 décembre 1951. Sur la passerelle, j’ai vu quelques flocons de neige et je me suis répété « À la grâce de Dieu, j’y vais. » L’équipage m’installa dans une chambre avec plusieurs personnes et nous n’avions que des hamacs pour dormir. Un jeune marin de cet équipage italien a avisé ses supérieurs que je ne pouvais dormir dans un tel hamac et on m’a offert une cabine avec lit. Comme toilette, il n’y avait que des pots de chambre. La mer était agitée. J’avais très peur. Une petite femme m’a entourée de coussins de flottaison. Je me suis rendue seulement deux fois à la salle à manger. Je me souviens des longues tables et des boîtes de Corn Flakes avec leur gros coq, en me demandant ce que c’était. J’ai grignoté quelques flocons de maïs, mais je n’avais pas vraiment faim. Je me souviens d’avoir vu de grands hommes vêtus de noir et portant de grands chapeaux. Je suis devenue si malade qu’on m’a installée dans l’infirmerie du navire. Je ne mangeais ni ne buvais rien, car je ne gardais rien. À cause de la mer agitée, les pots de chambre roulaient dans la pièce et je n’en trouvais aucun, alors je vous laisse imaginer ce que j’ai dû faire.
Tout ce que j’entendais, c’était le bruit des vagues frappant le navire avec force pendant la tempête. À chaque minute, je croyais que le navire allait se rompre en deux. Puis, j’ai entendu des voix qui criaient : « Terre! Terre! », ce qui signifiait que nous avions finalement réussi la traversée. Le médecin de bord est venu me dire que tout était fin prêt au cas où j’accoucherais à bord. Si le bébé naissait à bord du navire, il obtiendrait la citoyenneté panaméenne.
Je suis entrée au port d’Halifax le 8 janvier 1952, soit quatre jours plus tard, en raison du mauvais temps. J’ai vu quelques officiels monter la passerelle et épingler une médaille à la poitrine du capitaine, qui se trouvait tout juste devant moi. Je sais maintenant que cette médaille récompensait sa décision de contourner une tornade ou un ouragan, la raison de ce délai de quatre jours.
Le médecin de bord voulait me placer à l’infirmerie, mais j’ignorais que le Quai 21 avait sa propre infirmerie, alors j’ai refusé d’y aller en disant que je monterais tout de suite dans le train. Le docteur m’a guidée à bord du train en disant qu’il allait s’occuper de mes papiers d’immigration. Il est revenu avec un officier d’immigration me remettre mes papiers marqués « Immigration Canada – immigrante reçue. » Le médecin m’a avisée qu’une infirmière allemande serait à bord du train en route vers Toronto. Le train attendait depuis plusieurs heures que les formalités de quelque 2 000 immigrants soient réglées. Je me rappelle les banquettes si dures que je glissais d’un côté à l’autre. Tout était si déprimant. Les gens pleuraient beaucoup. J’ai pleuré en silence pour mon père et ma mère. Je me rappelais des souvenirs d’enfance avec mes amies d’école et mon petit frère, mais j’étais vivante et mon bébé viendrait au monde au Canada.
Le matin se levait et depuis le train, tout ce que je pouvais voir, c’était des arbres, et des arbres, mais aucune maison. Je me suis demandé « Est-ce donc ça, le Canada? » On m’avait dit, quand j’ai quitté l’Autriche, qu’au Canada il y avait des Indiens, donc je cherchais les tentes et les tipis, croyez-le ou non. Mais je n’en voyais pas; il n’y avait que des arbres. En arrivant à Montréal, j’ai aperçu des maisons et ça m’a rassurée. Nous sommes arrivés à Trenton, en Ontario, où mon mari m’attendait. Je suis arrivée le 11 janvier 1952. Le 25 février 1952, ma fille est née. Elle avait deux dents que le médecin a dû lui enlever. J’ignorais pourquoi mon bébé ne m’a pas été apporté pendant les deux jours suivant sa naissance. Je la croyais morte. Après trois mois, nous sommes déménagés à Belleville, en Ontario. Nous habitions près de l’aéroport de Trenton et les avions effectuaient des manœuvres autour de 23 h 30 chaque soir, et ça me rappelait les bombardements dans mon pays. Ça m’énervait tellement que nous avons dû déménager.
C’est l’histoire de mon arrivée au Canada.
Cette histoire a été traduite depuis l’original, écrite en anglais.
Numéro d’entrée : S2012.410.1